Mise en scène par Alain de Bock et Katherine Gabelle
Il est important dans la mise en scène de repérer les différents registres de jeu qui sont étroitement mêlés. À des scènes comiques succèdent des scènes tragiques, et quelquefois les deux genres se superposent.
La comédie repose toujours sur des rebondissements et des retournements ou renversements de situation, comme Georges dandin qui, ayant enfermé sa femme à l’extérieur de la maison, se retrouve à son tour coincé au dehors et devient, selon sa femme, un soulard qui sort la nuit pour s’abreuver.
Elle s’appuie aussi sur des répétitions de quiproquos de personnes : Lubin prend Dandin pour Claudine, Clitandre prend Claudine pour Angélique et Lubin prend Angélique pour Claudine. Lubin prend Dandin pour quelqu’un d’autre que le mari d’Angélique.
Les apartés sont des ressorts comiques puisqu’ils créent une connivence entre le public et le personnage.
La méprise est aussi un élément comique, qui fait que Monsieur de Sottenville n’ayant que des preuves contraires à la vérité demande à Dandin de s’excuser deux fois auprès de Clitandre, et auprès d’Angélique pour ses soi-disantes divagations.
Le comique se nourrit également du parallélisme des situations avec Lubin qui donne trois fois à Dandin des explications sur la tromperie d’Angélique, comme Dandin qui doit d’excuser deux fois sous la pression de Monsieur de Sottenville, et Madame et Monsieur de Sottenville sont obligés d’entendre deux fois Dandin se plaindre de leur fille.
L’intrigue amoureuse des maîtres se double de celle des valets : Angélique prend un amant comme sa servante Claudine prend le valet de Clitandre pour amoureux.
Il y a une comédie de mœurs reposant sur la satire sociale puisqu’elle nous montre la maison d’un paysan bourgeois parvenu.
Les éléments farcesques sont aussi nombreux et relèvent de la farce du moyen-âge et de la Commedia dell’Arte, comme les poursuites, les coups de bâton, la duperie et les mauvais tours joués à un personnage. La tromperie qui est le ressort principal de l’intrigue constitue un thème dominant dans la farce et qui a été souvent repris dans le théâtre de boulevard.
Évidemment cette comédie n’est pas une tragédie, car les personnages ne sont pas héroïques et nobles, bien qu’ils subissent des situations tragiques : Angélique vendue à Georges Dandin se refuse à lui, mais va le tromper, Dandin vit une situation dramatique puisqu’il n’a pas eu le privilège d’être un mari à part entière et se retrouve cocu.
On peut remarquer que Dandin et Angélique sont des personnages à tendance dramatique alors que tous les autres sont plutôt comiques. Il y a donc, jusque dans les personnages, un mélange de comédie et de drames, qui provoque respectivement soit le tragique soit le comique avec quelquefois une forme de pathétisme. Le final en est la démonstration, Dandin n’a qu’un vœu pieu de suicide, mais la pièce se termine sans mort et sans résolution heureuse, situation pathétique provoquant souvent le ridicule.
Intentions de mise en scène
Il est nécessaire de trouver le juste équilibre entre le comique et le dramatique comme l’a voulu Molière.
Et il faut montrer à quel point cette pièce sous-tend des comportements pervers de domination : Georges Dandin n’a jamais demandé son avis à sa future épouse. Il lui a imposé ce choix avec la complicité des parents qui, pour entretenir leurs biens, ont vendu leur fille.
Toute cette machination qui devient une conjuration est sordide et digne d’un milieu de truands sous des apparences trompeuses de courtoisie.
Elle nous dévoile la volonté de la bourgeoisie, enrichie, mais écartée du pouvoir et qui pense le mériter, de s’approprier des titres de noblesse. Cette bourgeoisie ne supporte plus les privilèges de la noblesse, et sa philosophie qui consiste à refuser le travail, le considérant comme dégradant. Les petits enfants de Georges Dandin pousseront le peuple français à faire la révolution, un siècle après, pour prendre le pouvoir. Ils mettront en place toutes les fausses valeurs que nous supportons actuellement comme celle de l’épanouissement de l’homme dans le travail et la nécessité de s’enrichir en travaillant plus.
Molière montre là aussi comme dans « Le Bourgeois gentilhomme », la volonté de cette classe de s’élever, mais aussi l’échec de cette prétention superficielle qui s’exhibe dans un « paraître ». Il révèle le manque d’intelligence sous les apparences trompeuses d’un comportement malin. La bêtise de vouloir imiter une classe sociale, celle de vouloir s’approprier les biens et les gens dans une forme de voracité et d’agressivité…
Molière laisse paraître la lâcheté de Georges Dandin. Sa personnalité devient ridicule et est piétinée par ces nobles. Il est le dindon de la farce qu’il a mis lui-même en place : il n’y a pas d’autre solution que la mort, mais il manquera de courage pour l’exécuter. Il faut donc jouer un personnage complexe, à la fois malheureux et en état de souffrance donc humain, et en même temps pervers.
Il y a de la perversité pour ne pas dire du sadisme à imposer à quelqu’un de vivre d’une certaine manière contre son gré. Mais Angélique qui, mariée de force et souffrant de cet homme un peu grossier, est prête à le tromper et qui n’hésite aucunement à mentir chaque fois qu’elle est confondue, révèle une certaine duplicité. Il y a donc pour les deux personnages un double jeu à maîtriser.